POUR UN TRAVAIL COLLABORATIF DES MEN

POUR UN TRAVAIL COLLABORATIF DES MEN

Le cerveau en trompe-l'œil - CNRS Le Journal - N° 207 avril 2007

Le cerveau en trompe-l'œil

À Grenoble, les cerveaux constituent l'objet d'étude des chercheurs du Laboratoire de psychologie et neurocognition, qui multiplient les expériences pour mieux comprendre nos perceptions et certaines pathologies.

irm grand

© H. Raguet/CNRS Photothèque

L'IRM (imagerie par résonance magnétique) est l'un des instruments de base des chercheurs du LPNC. Connue aussi sous le nom de scanner, cette technique permet de mesurer le taux d'oxygène consommé par chaque zone du cerveau à un instant donné. On obtient ainsi, avec une très bonne résolution spatiale, une image du cerveau en action.

 

Observez ces motifs sur le sol, demande Édouard Gentaz, arrivé sur l'esplanade qui s'étale devant la bibliothèque des sciences du Laboratoire de psychologie et neurocognition (LPNC)1. En regardant devant vous, vous voyez des zigzags blancs et noirs. Tournez-vous sur le côté, et vous voyez des carrés noirs sur fond blanc. Faites encore un quart de tour, et la dalle se transforme en une succession de longs rectangles. » Pas de doute, ce trompe-l'œil prépare le visiteur à ce qui l'attend dans ce laboratoire grenoblois cerné par les massifs enneigés et où travaille une trentaine de chercheurs : il va plonger dans les paradoxes de la perception et apprendre à se méfier de ses cinq sens.

 

Et dans ce domaine, les premiers jours suivant la naissance des bébés sont particulièrement importants. Justement, l'équipe d'Édouard Gentaz vient de publier2 un résultat étonnant concernant la perception visuelle par les nouveau-nés des mouvements dits biologiques, c'est-à-dire des mouvements caractéristiques produits par les humains et les autres vertébrés, tel celui des mains. Les chercheurs se sont demandé si un nouveau-né est déjà capable de les différencier de l'infinité des autres mouvements, comme ceux des branches d'un arbre. Pour cela, ils ont utilisé une illusion perceptive bien connue des psychologues3 : un point lumineux décrivant une ellipse à une vitesse parfaitement uniforme semble, aux yeux humains, animé d'un mouvement saccadé. En revanche, le même point lumineux dont le mouvement s'accélère et se ralentit sur l'ellipse en suivant un mouvement biologique nous paraît parfaitement constant. Cette illusion dépend-elle de notre expérience ou bien se manifeste-t-elle très précocement chez l'être humain ?

 

Pour répondre à cette question, les chercheurs ont réalisé une expérience sur des bébés âgés de trois jours : ils ont filmé leur regard face à deux écrans où étaient présentés les deux types de mouvement. Les résultats sont clairs : « L'écran présentant le mouvement saccadé mais perçu comme uniforme (le mouvement biologique) intéresse moins les nouveau-nés que l'écran présentant le mouvement perçu comme saccadé.

Ceci montre que les nouveau-nés sont bien capables de distinguer les mouvements biologiques, qui ne les surprennent pas, des autres, qui les intriguent », explique David Méary, qui réalise son postdoc au labo. Cette exploration, très rare en France, des compétences précoces des bébés va se poursuivre : les chercheurs préparent de nouveaux tests sur d'autres mouvements, des sons et des rythmes afin de montrer à quel point ces petits êtres ne sont pas de simples « machines à réflexes », mais ont déjà certaines compétences malgré l'immaturité nerveuse de leurs sens.

 

NOUVEAU REGARD SUR LA DYSLEXIE


Autre thème fort du LPNC : l'étude de la dyslexie, un trouble neurologique qui se manifeste par des difficultés de lecture et d'écriture tant chez l'enfant que chez l'adulte. «Classiquement, on impute la dyslexie à des troubles phonologiques, c'est-à-dire liés à l'identification des sons qui composent les mots parlés4, rappelle Sylviane Valdois, qui dirige depuis cette année le LPNC. Au labo, nous travaillons sur une hypothèse complémentaire selon laquelle un bon nombre des dyslexies seraient dues à des troubles d'ordre visuel. » Cette théorie met en cause la fenêtre de lecture, c'est-à-dire le nombre de lettres que l'on peut identifier d'un seul coup d'œil. Celle-ci serait très diminuée chez les personnes atteintes : au lieu d'embrasser des mots entiers du regard, elles n'attraperaient que quelques lettres, ce qui rendrait leur lecture très peu performante. Les équipes du LPNC ont aussi montré que ces troubles dits « visuo-attentionnels » ne concernent pas seulement les lettres, mais aussi des séquences de couleurs ou de chiffres, par exemple.

 

 

irm bb

© E. Gentaz

Cette expérience vise à savoir si le regard d'un nouveau-né de quatre jours est plus attiré par l'écran où est présenté un mouvement semblable à ceux produits par les humains et les autres vertébrés ou par l'écran montrant un mouvement non biologique.


L'un des objectifs du labo est de mettre au point des méthodes de rééducation en accord avec chaque modalité de la dyslexie. «Les rééducations classiques chez l'orthophoniste ne sont pas toujours adaptées aux personnes ayant des troubles visuels. Chez elles, ce n'est pas sur les sons qu'il faut jouer. Il faut élargir leur fenêtre de lecture », affirme Sylviane Valdois.
Dans ce but, Carole Peyrin, en postdoc au labo, évalue l'efficacité d'une nouvelle méthode de rééducation pour les enfants dyslexiques, en lien avec les parents et les orthophonistes impliqués. « Elle est basée sur deux séries d'exercices visuels et phonologiques conçus pour des enfants de douze ans. Ces exercices doivent être effectués tous les jours pendant six semaines », explique la jeune chercheuse. Une étude sur un groupe de dix enfants a montré que cet entraînement débouche sur d'importants progrès dans le traitement des informations visuelles et auditives, qui se traduisent environ six mois après par une lecture plus efficace. Mais avant de distribuer une nouvelle méthode de rééducation visuelle, les chercheurs veulent réaliser des tests sur des groupes d'enfants plus larges.

 

Après la lecture, l'écriture. Grâce à des liens étroits noués avec l'Éducation nationale, les chercheurs du LPNC ont pu tester l'efficacité d'une méthode très sophistiquée pour accélérer l'apprentissage de l'écriture chez les enfants de cinq ans. Il s'agit d'utiliser un bras robotique et une interface baptisée Télémaque, développée avec France Télécom. Le bras robot « à retour d'effort » guide la main dans le tracé des lettres cursives. Les chercheurs ont récemment montré qu'un entraînement de trente minutes par semaine améliorait la fluidité du tracé. L'intérêt ? « Lorsque les enfants maîtrisent ces aptitudes purement mécaniques, ils peuvent se concentrer davantage sur la construction des phrases, la syntaxe ou le sens des mots », explique Anne Hillairet de Boisferon, doctorante en deuxième année de thèse5.

 

 

TROUBLES VISUELS


Un autre des thèmes sur lesquels le labo a fondé sa réputation est l'étude des mécanismes cérébraux entrant en jeu dans la vision. Pour en savoir plus, direction Paris et la Fondation ophtalmologique Rothschild, où s'est délocalisée une des équipes du LPNC. Sylvie Chokron, directrice de recherche CNRS, a fondé dans cet hôpital très spécialisé la seule équipe de recherche technologique (ERT) française dont le partenaire n'est pas un industriel.

« Nous collaborons avec la Fondation Rothschild pour mettre au point de nouveaux protocoles diagnostiques et thérapeutiques pour les patients victimes d'une lésion cérébrale affectant la vision », explique la chercheuse.

Leurs recherches concernent notamment l'hémianopsie : à la suite d'une lésion sur l'un des deux hémisphères cérébraux, au niveau des aires occipitales qui traitent les informations visuelles, les patients atteints ne détectent plus les informations dans une partie du champ visuel. Paradoxalement, ils sont quand même capables de traiter inconsciemment un certain nombre d'informations : «Lorsqu'on leur présente une lettre dans leur champ aveugle et qu'on leur demande de choisir, parmi plusieurs, celle qui leur a été présentée, alors ils ne se trompent que rarement. C'est ce que l'on appelle la “vision aveugle” ou “blindsight” », explique Sylvie Chokron. L'un des grands succès de l'équipe est d'avoir réussi à rendre à ces personnes une vision consciente grâce à une rééducation de trois à quatre mois, en entraînant leurs capacités de vision inconsciente. « Voir est un savoir. La plasticité du cerveau est telle, que nous avons pensé qu'on pouvait effectivement rétablir cette fonction cognitive particulière qu'est la vision », affirme Sylvie Chokron. Avec ces travaux et d'autres menés par le LPNC6, le cerveau n'a pas fini de révéler son extraordinaire versatilité et son immense pouvoir d'adaptation.

 

Sebastián Escalón

 

 

UN LABO À LA POINTE DE LA TECHNOLOGIE


Le LPNC est l'un des rares labos en France à utiliser pour ses recherches une technique révolutionnaire appelée stimulation magnétique transcrânienne (SMT). Il s'agit d'un appareil capable de produire un champ magnétique très précis qui inhibe ou active de façon transitoire et localisée des zones très spécifiques du cerveau. Il permet ainsi d'étudier le rôle que joue telle ou telle partie du cerveau dans les processus cognitifs. Les chercheurs essaient d'utiliser la SMT, déjà employée dans le traitement de certaines dépressions, dans la rééducation de certains patients ayant subi des lésions cérébrales.

Plus classiquement, l'instrument à la base de nombreuses recherches du LPNC est l'IRM (imagerie par résonance magnétique). Cette technique d'imagerie médicale non invasive permet de voir le cerveau en action en mesurant l'oxygène consommé par chaque zone du cerveau à un instant t. Ainsi, lorsqu'on demande à un sujet d'effectuer une tâche spécifique comme par exemple décrire une photo, l'IRM montre exactement quelles aires cérébrales s'activent, et par conséquent, quelles zones du cerveau traitent telle ou telle information.

S.E.

Notes :

1. Laboratoire CNRS / Université Grenoble-II / Université Chambéry.
2. Plos One, vol. 2, n° 1, janvier 2007, e182, doi:10.1371/journal.pone.0000186
3. Les chercheurs savent de façon empirique que les mouvements biologiques ne sont jamais uniformes mais se conforment à une loi caractéristique, la loi de la puissance deux-tiers.
4. Sur les causes phonologiques de la dyslexie, voir le dossier « Halte au bruit », Le journal du CNRS, n° 204, janvier 2007.
5. Sous la direction d'Édouard Gentaz et Pascal Colé. 
6. Citons notamment une recherche menée par l'équipe de Monica Baciu sur la manière dont le cerveau des épileptiques se réorganise pour faire face à ce trouble.

CONTACT

> Édouard Gentaz, edouard.gentaz@upmf-grenoble.fr
> Sylviane Valdois, sylviane.valdois@upmf-grenoble.fr
> Sylvie Chokron, chokron@ext.jussieu.fr
> Monica Baciu, monica.baciu@upmf-grenoble.fr



 



11/11/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 68 autres membres